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Le soin des choses numériques, 2. Tact et souci de l’authenticité

Une autre idée qui m’a marquée dans le livre de Jérôme Denis et David Pontille, Le soin des choses, (Paris : La Découverte, 2024) figure dans le beau chapitre intitulé « Tact ». Pour illustrer ce thème, les auteurs donnent un exemple provenant non des musées mais des collectionneurs et collectionneuses de voitures de collection Ford Mustang. Ces personnes se posent en permanence la question de la conservation de l’authenticité de leurs véhicules, donc de ce qu’elles et ils peuvent se permettre de faire pour les maintenir en état de marche sans les dénaturer. Est-il acceptable d’ajouter sur un véhicule ancien un accessoire moderne ? Si oui, sous quelles conditions ?

Et les auteurs d’écrire une phrase qui résonne fortement avec notre pratique en préservation numérique :

Faire durer une chose revient à définir en pratique ce qui compte en elle, identifier ce dont il faut concrètement s’occuper si l’on veut toujours s’assurer que c’est bien toujours la même chose qui dure. (p. 243)

Cette citation évoque une notion qui existait sans doute en conservation traditionnelle mais qui a connu de multiples développements en préservation numérique : les significant properties. Si je tente de résumer cette idée déjà ancienne et sur laquelle on a beaucoup écrit : les institutions de conservation doivent décrire ce qu’elles considèrent comme les caractéristiques d’un document justifiant sa collecte et sa transmission. Et cela afin de s’assurer qu’au fil du temps elles le maintiennent dans un état qui réponde aux objectifs qu(elles se sont fixés et aux besoins de leur public cible.

Une carte postale montrant Hamlet tenant un crâne. En lettres majuscules, typiques d'un meme Internet, on lit en bas "To fix or not to fix".

Leave the files alone

Autrement dit, dans la langue fleurie que j’adopte volontiers : foutez la paix aux fichiers. Pourquoi cette injonction ? Parce que, dans la vulgate préservationniste, largement fondée sur des idées préconçues et élaborée dans les années 2000, l’interventionnisme était de mise, et nous a sans doute amenés à faire des bêtises. Inspirés par les politiques de numérisation, nous avons par exemple abusé de stratégies de normalisation. La tête de mes fichiers ne me revient pas ? Qu’à cela ne tienne, je convertis tout dans un seul format, et tant pis si ce lit de Procuste est trop petit et qu’on doit pour l’y faire rentrer sabrer de précieuses métadonnées internes, descriptives ou techniques, voire des morceaux inattendus (vignettes dans une piste audio, commentaire audio dans une photographie numérique, etc.).

Aimez-les comme ils sont, avec leurs défauts, leurs irrégularités. N’essayez pas de les changer. Ce sont des données patrimoniales, que diable, et c’est donc nos outils d’accès qui doivent s’y adapter, pas le contraire.

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