Je m’étais arrêté à mon arrivée à la BnF en 2014, avec l’objectif de nouveaux défis dans le domaine du développement de compétences numériques hardcore. Je n’ai pas été déçu. Mon poste d’« expert de modélisation » consistait, à l’origine, à me spécialiser dans les métadonnées dites « de préservation ». Je devais donc jouer le rôle du normalisateur sur la manière de décrire les objets numériques conservés sous forme de « paquets » dans l’entrepôt numérique, et le fonctionnement de celui-ci. Un peu comme mes collègues du département des Métadonnées apportaient leur expertise en gestion de données structurées pour déterminer comment décrire la production culturelle dans nos catalogues. A la différence que lesdits collègues disposaient d’une compétence centenaire de description d’objets patrimoniaux « traditionnels », alors que moi je n’y connaissais malgré tout pas grand-chose, à l’encodage des données numériques. J’ai donc mis cinq ans avant de me sentir légitime sur ce poste – et croyez-moi, il arrive régulièrement que ce sentiment s’évanouisse, aujourd’hui encore. J’y ai par ailleurs développé une allergie carabinée aux « métadonnées de préservation » telles qu’elles sont généralement entendues, mais on y reviendra sans doute.
J’ai donc étendu mon périmètre des « métadonnées de préservation » aux identifiants pérennes, avec l’aide de mon prédécesseur, le fabuleux et beaucoup trop modeste Sébastien Peyrard. Puis, je me suis orienté vers la question des formats de données. C’est sans doute ce dernier domaine qui occupera l’essentiel de ce blog : quelles informations, cachées au profane, peut-on tirer d’un fichier en inspectant sa structure, grâce à une compréhension fine de celle-ci ? Ce qu’une chercheuse reçue récemment à la BnF qualifiait de « codicologie numérique », que je tendais à nommer jusque là « diplomatique numérique contemporaine » et que nos amis saxophones nomment digital records forensics.
Une étape fondamentale pour moi a été le développement de compétences en programmation (python, évidemment, qui par sa – relative – facilité d’apprentissage encourage la collaboration de nombreuses personnes à des projets communs). Mais le déclic réel, je le crois, a été ma transition vers GNU/Linux en 2020 (une preuve supplémentaire que le confinement a été un moment de rupture et de créativité exceptionnel pour de nombreuses personnes) et l’apprentissage de l’interaction avec l’ordinateur en ligne de commande. Là encore, j’ai la certitude qu’il s’agit d’une compétence incontournable pour un·e archiviste numérique, et que son acquisition m’a définitivement permis d’intégrer une communauté dont je me sentais relativement exclu jusqu’ici. Ce sera certainement le sujet d’un prochain billet de blog, mais si vous voulez vous y frotter dès maintenant, je vous recommande ce billet de Nicole Martin.
J’ai beau aimer ce que je fais et penser que c’est le futur d’une partie conséquente de ma profession, je n’ai pu m’empêcher parfois de me demander si l’orientation vers une spécialisation perçue par la plupart de mes collègues comme étant une « niche » n’était pas une façon de me réfugier dans un domaine où il y avait peu de concurrence, donc de rivaux et de contradicteurs. Nous autres bibliothécaires sommes volontiers affectés par le syndrome de l’imposteur (oui mais quels problèmes structurels cette tendance révèle-t-elle ?), et je n’ai pas fait exception, étant tombé dans un milieu où ma formation ne me permettait pas d’être pertinent immédiatement. Ce sentiment d’incompétence a certainement joué dans mon idée de me réorienter vers la cuisine (ce projet a fait long feu – ou du moins, il mijote encore à feu très doux).
J’ai malgré tout continué, depuis 2020, à développer des compétences qui ne sont en soi pas exceptionnelles : les personnes qui s’aident de python dans leur travail sont de plus en plus nombreuses, l’incroyable polyvalence des utilitaires Linux existe depuis plusieurs décennies. Mais leur application à des données numériques patrimoniales est plus originale et nous rapproche, nous les archivistes numériques, de communautés inattendues : les journalistes données, les spécialistes de criminalistique numérique et les chercheurs en sources ouvertes. Il est frappant de voir combien nos méthodes, nos problématiques et nos outils sont proches – là encore, j’aimerais revenir sur ces points communs dans un prochain billet.
Cette convergence des disciplines est un des sujets qui me motivent le plus en ce moment, celui que j’aimerais approfondir par la suite, que je reste à la BnF encore ou que je m’oriente vers un poste spécialisé dans l’analyse de formats de fichiers. Je conclurai en citant Meredith Whittaker, chercheuse et présidente de la fondation Signal, qui dans un entretien récent avec un intervieweur qui s’étonnait qu’une littéraire ait pu se spécialiser dans des questions numériques pointues, lui a répondu en substance :
Book nerds read. And the network stuff is written down, so…
Je m’arrête donc ici sur la présentation un peu personnelle de mon activité et de mes intérêts professionnels et vais sans doute, dans un prochain billet, entrer sans autre forme de procès dans le vif du sujet : le transfert de données numériques patrimoniales. Un peu de concret ne nous fera pas de mal. A bientôt donc !!
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